Journal du Vatican / "Je me conforme à ce que les cardinaux ont demandé"

Les liens entre le pré-conclave et le gouvernement de François. Les accords liés à l’élection d’un pape sont illicites et invalides. Mais, en pratique, on en est tout près

par Sandro Magister




CITÉ DU VATICAN, le 1 juillet 2014 – "Pareillement, j’interdis aux cardinaux d'établir des accords avant l'élection, ou bien de prendre, par une entente commune, des engagements qu'ils s'obligeraient à respecter dans le cas où l'un d'eux accéderait au Pontificat. Si de telles promesses se réalisaient en fait, même par un serment, je les déclare également nulles et non avenues".

C’est ce qu’affirme la constitution apostolique "Universi dominici gregis", régissant l’élection du pape, qui a été publiée par saint Jean-Paul II en 1996 et qui est encore en vigueur aujourd’hui.

Les accords passés entre les cardinaux réunis en conclave et ayant pour but d’imposer au futur pape certains actes susceptibles de restreindre sa liberté d'action portent historiquement le nom de "capitulations du conclave" ou de "capitulations électorales".

La première capitulation qui soit apparue dans l’Histoire semble être celle de 1352, à l’occasion du conclave tenu à Avignon qui vit l’élection d’Innocent VI. Toutefois ce dernier, une fois élu, déclara qu’elle était invalide.

Et en effet, à maintes reprises les papes, après avoir été élus, renièrent les accords qu’ils avaient conclus avec leurs ex-collègues cardinaux.

Quelquefois ces accords imposaient à celui qui avait été élu de prendre des mesures pour le véritable bien de l’Église, mais dans d’autres cas, au contraire, ils correspondaient à des intérêts personnels ou catégoriels. Tant et si bien que, pour finir, il fut décidé qu’ils devaient être formellement interdits.

Cette interdiction entra en vigueur avec les règles relatives aux conclaves qui furent promulguées par un autre pape saint, Pie X, dans sa constitution apostolique "Vacante Sede Apostolica" de 1904, où il était dit ceci :

"Pareillement nous interdisons que les cardinaux, avant qu’ils ne procèdent à l’élection, établissent des capitulations ou qu’ils prennent d’un commun accord des décisions, en s’engageant à les respecter au cas où ils seraient portés au souverain pontificat. Nous déclarons que de telles choses, si elles se produisaient 'de facto', même si elles avaient donné lieu à un serment, seraient nulles et dépourvues de valeur légale".

Cette disposition – qui ne prévoit, toutefois, aucune peine pour ceux qui la transgresseraient, étant bien entendu que le nouveau pape dispose d’une pleine liberté vis-à-vis de ces accords – a été réaffirmée par tous les documents ultérieurs relatifs au conclave, jusqu’à celui qui a été publié, comme nous l’avons vu, par le pape Karol Wojtyla.

En conséquence de quoi non seulement les éventuels accords conclus avant ou pendant un conclave sont formellement interdits parce qu’ils sont illicites, mais ils sont également, en pratique, dépourvus d’efficacité, parce que, en tout état de cause, le pape élu n’est pas tenu de les respecter, même s’il les a lui-même conclus avec ses collègues.

Cependant les chroniques de ces dernières décennies rapportent que, lors du conclave qui eut lieu au mois d’octobre 1958, certains cardinaux de la curie romaine se seraient assurés que, dans le cas où il serait élu, le patriarche de Venise, Angelo Roncalli, choisirait Mgr Domenico Tardini comme secrétaire d’état. Ce qui fut effectivement fait le soir même de l’élection de Jean XXIII.

Lors du conclave suivant, qui eut lieu en 1963, les cardinaux d’Europe centrale se seraient décidés à promouvoir la candidature du cardinal archevêque de Milan, Giovanni Battista Montini, avec une "capitulation électorale" dans laquelle figurait la continuation du concile.

Par ailleurs on raconte qu’en 1978 le cardinal Giuseppe Siri, s’il avait été élu pape, aurait dû, en tout état de cause, prendre en considération la proposition de garantir le poste de secrétaire d’état à son concurrent le cardinal Giovanni Benelli. Pour sa part – toujours d’après ce que l’on raconte – le patriarche de Venise, Albino Luciani, aurait été élu pape, comme ce fut en effet le cas, avec la certitude concomitante qu’il ne nommerait pas le redoutable Benelli secrétaire d’état.

En ce qui concerne le conclave qui a élu Jorge Mario Bergoglio, rien n’indique qu’il y ait eu des accords formels ou jurés entre les cardinaux.

Et pourtant, à de multiples reprises, le pape François a affirmé qu’il était lié par certaines indications qui avaient été fournies par les cardinaux au cours des réunions de pré-conclave.

Il l’a réaffirmé récemment, de manière plus développée que d’habitude, dans une interview qu’il a accordée à Franca Giansoldati et qui a été publiée dans "Il Messaggero" du 29 juin.

Il a en effet déclaré :

"En ce qui concerne le programme [de gouvernement ecclésiastique], je me conforme à ce que les cardinaux ont demandé au cours des congrégations générales qui ont précédé le conclave. Je vais dans cette direction. C’est de là qu’est né le conseil des huit cardinaux, un organisme extérieur. Sa création avait été demandée avec l’objectif de le faire contribuer à la réforme de la curie. Tâche qui n’est d’ailleurs pas facile parce que, lorsque l’on fait un pas, on découvre alors qu’il faut faire ceci ou cela, et si, auparavant, il y avait un dicastère, voilà qu’il y en a quatre. Mes décisions sont le fruit des réunions de pré-conclave. Il n’y a rien que j’aie fait tout seul".?

De plus, à la question de savoir si, ce faisant, il avait adopté une "approche démocratique", le pape a répondu :

"Ce sont des décisions qui ont été prises par les cardinaux. Je ne sais pas si c’est une approche démocratique ; je dirais plutôt synodale, même si le terme n’est pas approprié pour les cardinaux".

Voilà ce qu’a dit le pape Bergoglio. Si l’on s’en tient à la forme, on ne peut pas dire qu’il y ait eu une capitulation électorale à proprement parler. Mais, sur le fond, on s’en est approché.

Et le conseil des huit cardinaux que François a créé conformément à ce mandat se réunit précisément ces jours-ci au Vatican.

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Traduction française par Charles de Pechpeyrou, Paris, France.

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1.7.2014 

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